CHAPITRE PREMIER

 

Mac-Corry, accoudé à la fenêtre de son bureau, plongea son regard distrait dans Spark-Avenue. Du haut de son quinzième étage, la foule lui apparaissait minuscule, semblable à une cohorte de fourmis dociles et disciplinées.

Les automobiles glissaient, silencieuses, souples, sur la chaussée recouverte d’une mince pellicule de caoutchouc synthétique.

Vert. Orange. Rouge. Les feux multicolores se succédaient automatiquement, à une cadence régulière. Un sourire tirailla nerveusement la bouche de Mac-Corry.

Le spectacle, vu du quinzième étage, il le connaissait. Il le connaissait même trop. Cela l’écœurait. Pourtant il venait s’accouder à la fenêtre et plongeait son regard dans Spark-Avenue. Peut-être parce qu’il n’y avait pas d’autre coin, pour distraire l’esprit…

Mac-Corry avait en effet besoin de distraction. Il avait dénoué sans élégance son nœud de cravate et son regard sondait l’abîme. Et dire que les gens se promenaient, insouciants, égoïstes, alors qu’il avait à résoudre un problème indéchiffrable. Oui, indéchiffrable, même pour le plus malin. Inexplicable et déconcertant.

Il faisait chaud en cette après-midi de juin. Dans la pièce, les ventilateurs tournaient à plein régime, à une telle vitesse que Mac-Corry en était pris de vertige !

Il saisit sa tête dans ses mains et essaya de ne plus penser. Tenace, le délicat problème l’assaillit de nouveau, sous tous ses angles.

Un sifflement lui fit lever les yeux. Dans le ciel, un hélico-taxi brassait l’air de sa grande hélice horizontale. Le gros insecte passa en bourdonnant et Mac-Corry agita la main en signe d’amitié.

Il soupira. Son corps, jusque-là cassé en deux, se releva. Il parut immense, démesuré.

L’homme était grand, en effet, de taille et de prestige. Il occupait l’un des principaux postes officiels de Washington. Sur la porte de son bureau, au quinzième étage de Spark-Avenue, une petite pancarte apprenait, laconique : Mac-Corry, chef de la police du district de Washington.

Le téléphone grésilla, impératif, et le haut fonctionnaire étendit la main vers l’appareil.

Il écouta longuement les explications de son correspondant. A mesure que celui-ci parlait, le front du policier se rembrunissait… Ce visage, encore jeune, prenait lentement une expression de consternation, de désappointement visible. Bientôt, une violente colère en anima les traits.

— Mais que voulez-vous que j’y fasse ! hurla-t-il. Je le sais bien. Tout ceci est pratiquement inexplicable… De mon côté je poursuis mes recherches. Faites-en autant. Et ne venez plus m’empoisonner avec vos coups de téléphone ! Je ne peux quand même pas avoir l’œil sur l’ensemble du territoire des Etats-Unis. Je ne suis que le chef du district de Washington. Tâchez de vous en souvenir.

Rageur, il laissa retomber l’appareil sur son support. Puis il se mit à marcher dans la pièce, les mains derrière le dos, des mains nerveuses, qui pétrissaient un objet imaginaire et semblaient prêtes à se poser sur la figure du premier venu !

Mac-Corry s’arrêta devant son bureau massif. Il appuya sur le bouton du parlophone et se pencha :

— Dites à Maxwell de venir de suite… Evidemment, c’est urgent !

Il haussa les épaules et prit dans un tiroir une petite épingle enfilée dans un drapeau de papier. Sur ce drapeau, d’un centimètre carré de surface était inscrite la lettre « M ».

Le policier s’approcha d’une vaste carte fixée au mur, représentant les Etats-Unis d’Amérique du Nord.

Il chercha le Wyoming et y planta rageusement le petit drapeau.

Puis il attendit, les bras croisés. Dans sa préoccupation, il oublia de rajuster sa cravate. Et lorsque son adjoint entra, celui-ci fronça imperceptiblement le sourcil en constatant la négligence de son chef, d’habitude si élégant, si raffiné…

Il est vrai que des bouffées de chaleur pénétraient par la fenêtre en vagues agressives, à peine repoussées par les ventilateurs…

— Vous m’avez demandé ?

— Je viens de recevoir un coup de téléphone de Cheyenne, dans le Wyoming. On a signalé la première disparition. Venez un peu voir la carte, mon cher.

Mac-Corry désigna les petits drapeaux, piqués sur le papier.

— Constatez vous-même. Quatre dans l’Etat de l’Orégon, deux dans le Montana, trois dans le Texas, un dans le Kentucky, deux en Floride, quatre dans notre district fédéral, cinq dans l’Ohio, six dans le Missouri… Vous entendez, Maxwell ? Vingt-sept disparitions signalées dans les différents commissariats du territoire. En ajoutant celle du Wyoming, cela porte le nombre à vingt-huit. A croire que nous sommes en pleine épidémie !

Il tendit à son adjoint une boîte de cigares de première qualité, venant en ligne droite de La Havane.

Maxwell actionna son briquet automatique et offrit du feu à son patron. Ses petits yeux brillèrent lorsqu’il approcha la flamme vacillante de sa bouche. Des yeux ronds, intelligents, d’un noir andalou…

Physiquement, il ne ressemblait nullement à Mac-Corry. Il était petit et gros, digne de succéder à Mac-Corry lorsque celui-ci prendrait sa retraite…

Maxwell s’entoura d’une écharpe de fumée épaisse, suffocante, que les ventilateurs assaillirent sauvagement, et qui n’aurait pas manqué de faire tousser la blonde Joan, la secrétaire de Maxwell.

— Et ces disparitions ont ceci de curieux : c’est que, sur les vingt-huit cas, toutes les recherches n’ont abouti à aucun résultat… D’autre part, il ressort des différentes enquêtes menées par nos agents que les personnes disparues appartiennent toutes à d’honorables familles. Je ne vois donc qu’une seule explication possible.

— Enlèvement, n’est-ce pas, Maxwell ? Allons, dites-moi donc le fond de votre pensée.

— Je pense, en effet, qu’il s’agit d’une vaste opération de « kidnappers ».

Mac-Corry fuma en silence. Il alla vers la fenêtre et jeta un coup d’œil désintéressé dans Spark-Avenue.

Il soupira et planta sur la carte un regard froid, dur, figé, d’une expression brutale. Il ne se retourna pas pour s’adresser à son adjoint.

— Ah ! Ah ! Des « kidnappers »… Cette hypothèse serait valable dans une région bien définie. Mais sur l’ensemble du territoire !

Maxwell grimaça. Il pensait comme son chef. Cette histoire s’étendait comme une maladie contagieuse. Il s’agissait de découvrir les porteurs de germes pathogènes, et au plus tôt prendre des mesures prophylactiques.

— Nous avons peut-être affaire à une bande extrêmement organisée, dont le rayon d’action s’étend sur tous les Etats-Unis. N’oublions pas que c’est dans le Montana que l’on a signalé la première disparition.

— Oui, et la brigade de recherches s’est avérée impuissante. Et c’est pour cela, aussi, que je suis empoisonné, depuis quatre jours, par des coups de téléphone successifs ! Que voulez-vous que j’y fasse, Maxwell ? Je veux bien centraliser les demandes de recherches, mais je ne puis, personnellement, m’occuper de toutes. Cependant…

Mac-Corry se caressa le menton, signe d’une réflexion profonde, soutenue, ponctuelle, dictée par une subite inspiration.

Le haut fonctionnaire s’assit à son bureau et compulsa des feuillets dactylographiés : les notes émanant des différents commissariats.

— Hum !… Il est intéressant, parfois, de centraliser les recherches. Je constate simplement que les personnes disparues habitent des régions assez éloignées des centres urbains.

Maxwell achevait son cigare avec une parfaite tranquillité, qu’en aucun cas il ne désirait troubler par une conversation violente.

Aussi laissa-t-il tomber, du bout des lèvres, avec l’espoir que Mac-Corry n’entendrait pas :

— Evidemment ! ce fait renforce mon opinion.

Mac-Corry releva la tête. Un éclair de mécontentement illumina ses prunelles et il abattit son poing sur la table. Depuis un moment déjà, il souhaitait cogner sur quelque chose !…

— Vous devenez ridicule, Maxwell, avec votre histoire d’enlèvement ! Je m’aperçois que vous avez de la suite dans les idées. Voyons, expliquez-moi pourquoi l’on « Kidnapperait » de paisibles agriculteurs ? Rançon ? Ah ! Ah ! Laissez-moi rire… Il existe tellement de gens beaucoup plus fortunés dans les grands centres. Et puis je vous répète, l’affaire se bornerait à un fait divers régional.

Maxwell haussa les épaules, impuissant. A travers les ultimes volutes de son cigare, il évoquait sa secrétaire, Joan, penchée sur sa machine électronique. Joan, au visage souriant, et qui souriait encore, sans rancune, même lorsque ses délicates narines se pinçaient à l’odeur du tabac…

Maxwell grimaça. Il aperçut le regard perçant de son chef posé sur lui avec l’acuité d’une épingle. Il en ressentit une espèce de malaise et prit un air dégagé.

— Dites-donc, Maxwell, je vous ai fait venir dans mon bureau pour que vous m’exposiez votre point de vue sur la question de ces étranges disparitions. Je vous écoute.

— Mais… je vous ai donné mon opinion sur le problème et…

— Vraiment ? persifla Mac-Corry en écrasant son cigare dans un cendrier. Ainsi, vous êtes borné sur une seule idée… Compliments. Vous ne manquez pas d’imagination !

Maxwell accepta l’ironie avec philosophie. Il savait bien, par expérience, que le problème était au-dessus de ses forces, au dessus de toute sagacité.

Même Mac-Corry manquait d’hypothèses. Son adjoint ne l’ignorait pas.

— Ecoutez, tout ce que je pourrais vous dire serait superflu. Nous nous débattons dans une situation exceptionnelle. Faisons face aux événements.

— C’est-à-dire ?

— C’est-à-dire… Attendons, voilà. Attendons tout simplement du nouveau. Si l’on parvient à retrouver tout au moins l’une des personnes disparues, nous aurons découvert le fil conducteur.

A ce moment, le téléphone sonna avec un chant d’espoir. Mac-Corry décrocha vivement le récepteur.

— Allô… J’écoute… Quoi ? Mais bon sang, combien de fois faudra-t-il vous répéter que je n’y peux rien !… Oui, c’est cela, continuez vos recherches et fichez-moi la paix !

Le chef de la police tourna vers son adjoint un œil hargneux, coléreux, plein de dépit…

— Trois disparitions en Californie. Les plaintes continuent d’affluer dans les commissariats. Et c’est ce que vous appelez du nouveau, Maxwell !

Il se leva pesamment et s’avança vers la carte qui le narguait et ressemblait de plus en plus à une pelote à épingles.

Mac-Corry tenait dans sa main trois petits drapeaux, flanqués de la lettre « M », qui signifiait : Missing (disparu).

Attaque sub-terrestre
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